25 mars 2007
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L' URGENCE DE LA RECONSTRUCTION DU SYNDICALISME DE CLASSE
La situation générale de la classe salariée en arrive à un point où la conscience collective est véritablement en demeure de se ressaisir.
Parmi tous les thèmes qui travaillent périodiquement le mouvement social, prenons celui qui vient d’agiter l’actualité : la retraite.
Apparemment, les syndicats traditionnels, ancienne ou nouvelle peau, ont été sur la brèche.
Mais dans cet enjeu dont chacun a saisi la gravité et l’importance, faut-il que l’arbre de l’anémie revendicative continue à cacher la forêt ?
Cette nouvelle attaque n'aurait-elle tiré son audace que de la seule manipulation médiatique pour aboutir si facilement à son sinistre but ?
Ne faut-il se convaincre, plutôt, pour ne pas dire "une fois de plus", qu'autre chose agît de longue date dans le mauvais sens, comme une sape permanente de la conscience ouvrière : une espèce d'entente sur le fond, de diplomatie sociale secrète ?
Au-delà, donc, des gesticulations syndicales quasi rituelles auxquelles on a assisté, rodomontades et manœuvres habituelles de dédouanement des appareils mêlées à la colère ouvrière pour mieux la tromper, grand renfort de slogans revendicatifs sortis pour l'occasion de leur séquestre, ne convient-il pas de prendre un certain recul intellectuel pour examiner cette nouvelle phase sociale sous son aspect principal: celui de la faillite syndicale avérée ?
Il faut faire l'effort de surmonter cette nouvelle agression, précisément pour ne pas en considérer l’épilogue comme irréversible, comme tant d'autres au cours des dernières décennies.
Car l’erreur serait de focaliser sur l’enjeu revendicatif lui-même, aussi grave fût-il, et ignorer ainsi la nature profonde de cette période historique.
Ce serait ne pas voir que l'issue négative de cette lutte était inscrite dans le scénario de la dégénérescence syndicale.
Ce serait oublier du même coup les deux années sombres du calendrier de nos faillitaires : 1993, 1995 qui y sont nécessairement associées.
Dans tous les cas on aura reconnu le schéma social inversé, inauguré depuis plus de vingt ans :
- le gouvernement et le patronat avancent leurs projets scélérats,
- des tractations plutôt nébuleuses s'en suivent avec ce qu'on appelle désormais " les partenaires sociaux",
- une fâcherie syndicale à effet essentiellement médiatique, enveloppée du verbiage conventionnel, authentifie les "rôles",
- enfin on opère l'usure systématique des combativités, se gardant bien de toute initiative d'unification.
Dans ce cadre, on laissera les appels et les initiatives d 'action venir des niveaux inférieurs, les élans et les mots d'ordre spontanés seront confinés à la base jusqu'à leur désamorçage, dans une pétaudière anarcho-syndicaliste de la plus belle espèce.
Dans ces conditions, n'est-il pas temps de comprendre qu'une fois de plus, la conscience ouvrière aura été abusée et son énergie dévoyée par des bureaucraties corrompues, simplement pour indiquer aux capitalistes et à leurs valets politiques, le terrain revendicatif susceptible du renoncement programmé des travailleurs ?
Résultat: toujours par les mêmes méthodes asphyxiantes (cloisonnement et absence de mot d'ordre général clair, dynamique et à la hauteur de l'enjeu), l’énergie de lutte aura été ainsi maintenue "sous contrôle", balisée d 'un côté par une signature CFDT avec l'encre de la honte, ce qui ne peut plus étonner personne, et de l’autre par un révoltant flirt public CGT avec les professionnels politiques de la trahison !
De ce point de vue en effet, qui n'a été scandalisé de la caution politique offerte au beau milieu du mouvement par un dirigeant syndical en vue à un parti dont l’œuvre politique majeure depuis plus de deux décennies a été d'abuser et de paralyser le mouvement ouvrier ?
Parallèlement, cette manipulation des forces sociales aura surtout donné l’occasion aux médias de mettre en valeur la substance qu'ils cultivent et dont ils se nourrissent principalement : le crétinisme public, toujours prêt à s'enrôler dans les sophismes de la classe dominante. Toujours ça de gagné pour le renoncement et la démobilisation !
La porte a été ainsi ouverte pour l'exécution des projets, sanctifiés par le moulin à parole du parlement.
Si l’on s'en tenait à l’aspect extérieur des événements, on ne pourrait démêler l'écheveau de la mise en scène.
Ne sera-t-il pas apparu çà et là sur le terrain, des airs d'authenticité ?
Ne semble-t-il pas tout bonnement que le camp de la résistance ait été le moins fort ?
Pourtant, comment ne pas comprendre dans son for intérieur ce qui a essentiellement manqué pour que la riposte soit à la hauteur du niveau d'agression :
le lien de confiance, l’unité, la fraternité et la solidarité ouvrières, conditions incontournables à toute mobilisation de masse, à toute bataille d'envergure ?
Quand la configuration socio-politique et les prétentions capitalistes appellent la préparation des forces de longue date, avec méthode et pugnacité, vers l’ensemble des travailleurs, quand il s'agit d'une contre-offensive générale, quand il s'agit de tenir bon tant qu'il faudra, que valent les forces éparpillées, sans mot d'ordre unificateur clairement affirmé ?
Tout juste bonnes, autrement dit, à redorer le blason de l’imposture syndicale !
Imposture qui finit par éclater au grand jour quand on apprend que les 40 annuités et plus étaient finalement l'évangile, avouée ou non, de tous ces faux amis, politiciens comme syndicalistes !
Mais là, de toute évidence, le mouvement réel semblerait objecter à la logique et au bon sens.
Le secteur privé serait devenu hermétique, insensible à ses intérêts de classe.
C 'est en tous cas ce que se sont évertués à accréditer les syndicats traditionnels depuis le coup de jarnac de 1993.
D'après le discours néo syndical, les travailleurs du secteur privé, en particulier le prolétariat industriel, se sentiraient en faiblesse, auraient désormais, pour ainsi dire, peur de la lutte de masse, au point de se laisser tondre jusqu'à la couenne !
Ainsi les salariés et fonctionnaires du secteur public en auraient été réduits "à la grève pour tout le monde", en l’occurrence pour récupérer les trente-sept annuités et demie !
De qui se moque-t-on ?
Voilà bien des boniments qui ne peuvent atteindre que les demeurés, les esprits vides de culture ouvrière.
N 'est-il pas évident, plutôt, que le coup de poignard dans le dos des quarante annuités en 1993 n'a pu réussir, précisément que parce que la rupture entre le syndicalisme véreux et les salariés du privé était déjà largement consommée ?
A partir de là, la voie royale n'était-elle pas ouverte, qui plus est par l’effet conjugué de la propagande anti-secteur public et anti-fonctionnaires, à l'animosité stupide entre les secteurs public et privé, et par voie de conséquence, au recul social assuré pour tout le monde ?
Par ailleurs, où est la position de classe (seule chose qui aurait encore donné quelques chances à la mobilisation générale) dans tout ce joli monde qui a entonné à l’unisson le cantique de la "réforme nécessaire pour les retraites" ?
La cause n 'est-elle pas déjà entendue quand on subordonne par principe le mouvement social à son minimum défensif, quand on le laisse à la merci de la division ?
On a entendu parler de négociations. Cette lutte n'aurait donc eu d'autre objectif que d'obtenir des négociations sur les régimes de retraite ?
Mais quelles négociations, et pour aller dans quel sens ?
La condition générale des salariés n 'a-t-elle pas déjà assez reculé ?
De surcroît, qui, pour un sujet aussi vital, avait donné mandat à ces oripeaux syndicaux, et surtout sur quelle base réellement ouvrière, c’est à dire offensive, progressiste, hors de toute concession au système ?
Du même coup, comment la question vitale posée pouvait-elle se satisfaire d'un système de luttes décousues, quand l'audace patronale se fonde précisément sur une situation de désorganisation et de désorientation ouvrière, œuvre du poison syndical REFORMISTE ?
La position de classe n'est-elle pas abandonnée dès lors que l'on se contente de tancer par des discours d'épicier une société qui peut honorer le parasitisme de l'actionnariat, du dividende, y compris pour ceux des salariés qui voudraient bien s'y adonner, mais qui prétend manquer de ressources conventionnelles pour financer la dernière tranche de vie de la population laborieuse ?
Ne sont-ce pas les mêmes qui pourrissent la vie des forces vives de la jeunesse aussi bien que celles de la force de l'âge, par le chômage, la précarité, la dureté croissante des conditions de travail et d'existence pour tous ?
Mais le comble est encore que derrière les boniments sur le rapport entre actifs et retraités, se cache le vrai mobile de la classe capitaliste, du patronat en difficulté, précisément, avec le taux général de profit et la frilosité des capitaux qui en découle: aller toujours plus loin dans la liquidation de la partie du salaire dite "indirecte”, c’est à dire ni plus ni moins sa partie collective, par son absorption régressive dans un bloc salarial unique libéré de tout principe mutualiste.
Peut-on imaginer un seul instant que la répartition du revenu social entre salaire et profit capitaliste puisse se déconnecter de la lutte de masse pour se bricoler à posteriori, plus ou moins " à l’amiable", dans des bavardages à huis-clos ?
Dans un contexte général de misère de l'intellect ouvrier, que de vérités essentielles masquées par les sentences de la pensée officielle et de ses lèche-bottes !
Parmi ces vérités, la rigueur de l’été 2003 en a rappelé une avec un relief des plus saisissant : les maisons de retraite, les hôpitaux etc. dans la dèche, les anneaux à 100 000 Fr. par an pour les yachts de plaisance... dans l’insuffisance.
Autrement dit, au-delà de ses sermons jésuitiques, CETTE société montre son vrai visage : les dividendes sur l’escalier d'honneur, le social à la poubelle !
Raison profonde entre autres, pour laquelle, à l'heure où toutes les consciences honnêtes ont perçu plus que jamais la nécessité de la grève générale pour la référence commune aux 37 annuités et demie, ils concevaient en même temps avec amertume qu’une telle force sociale ne pût sortir d'un coup de baguette magique, du néant syndical
Par ailleurs, aurait-on oublié que la politique d'exonération, de cadeaux au patronat, vecteur redoutable s'il en est un contre le salaire indirect, a été cautionnée à plus d'un titre "sous couvert de la défense de l’emploi", et autre "compétitivité économique", par ceux-là même qui hurlent aujourd'hui avec les loups ?
Enfin, l'amnésie serait-elle si profonde, au point d’effacer des esprits que le premier politicien à envisager tranquillement toutes ces perspectives de liquidation ainsi que celles des quarante annuités et plus, ne fut autre qu'un certain Pierre BEREGOVOY !
Quand on raisonne ainsi on comprend mieux ce qui se cache derrière la terminologie facétieuse des "charges sociales" et autre "part patronale", ressassée depuis des décennies, ainsi que tous les efforts " d’allégement" dans ce domaine, œuvre constante de tous les gouvernements !
N'est-ce pas révoltant de voir au bout du compte tous ces milliards spoliés à la classe salariée, se transformer en ruines industrielles, délocalisations et autres tours de passe-passe capitalistes ?
Au total, avant même d 'aller se gargariser de critiques tautologiques sur le profit une fois réalisé, il faudrait déjà stigmatiser le racket permanent et croissant sur la masse salariale tant directe qu'indirecte, (idem pour les causes et ressorts réels du sous-emploi) précisément dans le seul souci du taux de profit !
En ce sens, pas plus que d'autres domaines revendicatifs vitaux, la bataille du taux et de la masse des salaires, (car c'est bien de cela dont il s'agît au fond), ne saurait se satisfaire d'une aumône de la fourberie syndicale.
Fourberie qui consiste visiblement à inféoder la lutte économique légitime de la classe salariée aux rites institutionnels du capitalisme.
La phase de lutte gréviste acharnée de la fin de l'année 1995 n'était-elle pas déjà sur cette sinistre longueur d'onde annoncée par le fameux plan Juppé et fidèlement observée depuis par le quinquennat de la sociale démocratie ?
La santé des salariés n'est-elle pas aujourd'hui sous la haute main du gouvernement et du parlement ?
Il n'est d'autre analyse possible en effet de cet épisode ancien que comme coup d'envoi de la main mise patronale et gouvernementale sur le salaire indirect, essentiellement dans sa partie santé à cette époque, et dans lequel l'agression contre les retraites déjà consommée pour le secteur privé ne dut son blocage qu'à une vigoureuse réaction du secteur public qui déborda momentanément les manigances syndicales visibles à l’œil nu.
Force est pourtant aujourd'hui de constater l’insuffisance, et surtout l'absence de suites de cette réaction, malgré ses forces autant effectives que potentielles.
Alors, comment réfléchir à tout cela, comment prendre le recul dont nous parlons ?
Précisément, il faut se rappeler que ce mouvement de 1995, à mis plus que jamais en relief le discrédit des dirigeants ouvriers en vue et de leurs appareils corrompus, et par-dessus le marché, sur la place publique !
On a su ainsi, plus seulement par la réflexion mais à la lumière des événements, que ce discrédit était devenu irréversible. La désaffection syndicale croissante n'a fait que le confirmer. Ainsi la molestation de Mme NOTAT,la dirigeante CFDT de l 'époque par ses propres troupes ne fut pas qu'un simple débordement d'esprits échauffés. Quant à la poignée de main simiesque "CGT- FO" de MRS VIANNET et BLONDEL, n' abusant que les naïfs, elle ne pouvait cacher la profondeur du malaise.
Au total, cet épisode de 1995, au-delà de son sabotage par les appareils traditionnels réussissant à étouffer toute mobilisation dans le secteur privé, était porteur au sein des masses en lutte, d'un fort symbole de rejet de la "collaboration", rejet qui pour être finalement épuisé dans la durée, n'en fut pas moins présent tout au long du mouvement.
Ainsi s'est exprimé au grand jour et à un niveau sans précédent, le conflit larvé qui oppose depuis le début des années 80 les énergies militantes honnêtes aux milieux d'intrigants que sont devenus les appareils syndicaux traditionnels.
Une tendance manifeste à l'auto organisation, quelque chose comme une sourde volonté de renouer avec les bases de l'héritage ouvrier marquait déjà profondément cet épisode.
Des dizaines d'assemblées interprofessionnelles sur tout le territoire exprimaient une claire aspiration à l’unité d'action et à la solidarité revendicative.
L'idée de la reconstruction, pour autant qu'elle ne pouvait encore s'affirmer au niveau nécessaire était bel et bien là en filigrane.
Au total, et au-delà du fiasco assuré par les bureaucraties syndicales officielles, au bénéfice de leurs prébendes, une précieuse expérience survit à ce mouvement, à la disposition des esprits volontaires et clairvoyants.
La phase sociale qui vient d'être vécue doit pour sa part accentuer et accélérer le mûrissement, la volonté ambiante de rupture avec le poison néo-syndical.
A l'heure où les attaques antisociales multipliées imposent des perspectives de lutte de grande envergure, (nouvelle attaque prévue contre la sécurité sociale, etc.), dans une société où le pouvoir politique quel qu'il soit, ne fera plus désormais qu'imposer les intérêts patronaux, il est vital de ne négliger aucun enseignement.
Ceux qui se sont exprimés dans le mouvement réel en 1993, 1995 et 2003, ramènent la réflexion au point de convergence de toutes les luttes morcelées et fourvoyées de toutes les revendications dévoyées et récupérées, en tout et pour tout, de tous les faux reflets du miroir de l'intérêt commun brisé par la trahison.
Et précisément, le nouveau recul social 2003 qui ne manque pas d'en annoncer d'autres pour les masses exploitées remet dans l’urgence à l'ordre du jour de l'actualité ouvrière la question de fond sur le marasme syndical.
Trop de graves échecs, trop de reculs de la condition générale des salariés, pour que tout cela ne soit nourri par la même constante.
Sur cette question, c'est vital, des millions d'esprits doivent basculer du doute dans la certitude. Car elle est le point de convergence de toutes les questions soulevées par des années de marasme, la question cruciale de notre époque, décisive :
-comment mettre fin à la situation contradictoire et profondément nuisible dans laquelle est enfermée la classe salariée : une énergie de lutte, un instinct de classe toujours vivace, mais une pensée sociale, une vision des intérêts fourvoyées, déstructurées, dévitalisées, donc vulnérable -.
La réponse à cette question est on ne peut plus claire :
la reconstruction de l'appareil syndical sur des bases indépendantes du système en place, le retour ferme et sans compromis à l'idéologie ouvrière, au syndicalisme de classe.
Ceci naturellement ne pouvant se faire qu'en constatant comme définitive et sans issue, la faillite historique des syndicats traditionnels, leur passage rampant au service de l’adversaire de classe, leur intégration totale aux mécanismes institutionnels.
La D.P.I.O, organisation fondée sur la rupture immédiate avec le "concordat honteux de 1981" a acquis une vision sans équivoque du mouvement social qui a suivi.
La déliquescence des syndicats, et partant, la mise à découvert de la condition ouvrière, n'est pas un hasard.
Voici donc plus de vingt ans que la Classe Ouvrière souffre d'amnésie historique, de perte d'identité, ceci la conduisant toujours plus à jouer, peu ou prou, le jeu truqué du capitalisme, dans l'espoir chimérique d'un redressement, d'une contrepartie qui ne viennent et ne viendront jamais et pour cause !
Tout se passe comme si, face aux ambitions dévorantes du capital, dictées par les affres de sa crise interminable, l’appauvrissement idéologique des masses était entré en résonance avec la dégradation de leur condition d'existence.
Ce phénomène dommageable se produit effectivement, mais il n'est pas le seul aspect de la décadence du mouvement syndical et surtout, il n'a rien de fatal ou d'inéluctable. Il ne sévit qu'en tant que phénomène organisé et alimenté par ceux qui sont devenus les "syndicats" officiels !
En fait, la société capitaliste qui a tant montré du doigt les "institutions syndicales d’État" d'une autre société, comporte désormais elle-même ces mécanismes sous une forme virtuelle.
Mais pour sa part, cette configuration ne résulte pas d'un bouleversement progressiste de la société, mais au contraire elle accompagne, elle alimente son pourrissement.
Globalement, on peu décrire le statut actuel des syndicats traditionnels comme celui d'instruments d'agitation et de cogestion pro-capitalistes.
Les principes du syndicalisme de classe, c'est à dire pour l'essentiel l'indépendance revendicative, ont été peu à peu édulcorés puis mis au placard.
Les syndicats traditionnels sont passés intégralement à la remorque du système économique et politique en place, assurant désormais une simple fonction d'adaptation sociale des salariés aux exigences du profit.
Tant par le discours que par les pratiques correspondantes, la conscience ouvrière a été intoxiquée et soumise de force aux modèles de pensée de l'intérêt privé.
Il y a à présent danger que la conviction sur la normalité ou la fatalité de ces modèles s'enracine dans les masses exploitées et ait le temps de faire des ravages durant des décennies.
Or, que convient-il de rappeler sur l'origine et le fondement du syndicalisme ouvrier, et parallèlement sur la notion d'idéologie ouvrière, afin, par la suite, de confronter ces éléments à l'évolution réelle des organisations syndicales en cause, au cours de la période qui nous concerne ?
Tout d'abord, il faut rappeler l'origine unique et fondamentale de tout le syndicalisme ouvrier : la lutte des classes dans la société capitaliste.
Le germe du syndicalisme ouvrier est effectivement contenu dans les principes même de cette société : face au caractère social du travail salarié, l'appropriation privée des moyens de production et d'échange, la constitution de ce fait d'un groupe social minoritaire, spécifiquement lié à cette propriété en tant qu'instrument d'exploitation du travail d'autrui.
En face de ce groupe dominant, la masse de ceux qui sont écartés de toute propriété réelle, c’est à dire réduits au strict cycle "production-consommation", consommation en tant que réparation nécessaire de leur force de travail.
Telle est la base économique, matérielle dirons-nous, de l'existence des deux grandes classes fondamentales de notre société : les capitalistes d'un côté, les prolétaires de l'autre.
On peut toujours ergoter sur cette terminologie, l'évolution des formes économiques et politiques dans les rapports concrets du travail, et les situations en trompe-l’œil auxquelles cette évolution peut donner lieu à telle ou telle époque, prétendre même comme les sycophantes du système, que la critique matérialiste du capitalisme serait dépassée.
Il n'empêche que la caractéristique essentielle du système, celle donc qui a conféré une dimension historique sans précédent à la lutte des classes, à savoir : la contradiction d'intérêts inconciliables, se confirme et s'accentue inexorablement.
Certes, il ne faut pas confondre ce mobile, cette cause initiale, commune à l'ensemble des ouvriers du siècle dernier, qui les amena à la conscience de leur situation de classe, et peu à peu à la nécessité de s'organiser pour la lutte économique contre leurs patrons, avec la traduction multiple qui s'en est exprimée très tôt dans la constitution des appareils syndicaux.
La tendance à la diversité dans le domaine de l'organisation n'a rien à voir avec une diversité foncière d'intérêts ou encore moins de positions économiques. Elle ne fait que refléter l'influence des variétés politiques de l'idéologie dominante, au sein même de la classe salariée, selon les périodes et les sensibilités de corporation, qu'elles soient collectives ou individuelles.
Au-delà donc de l'expression pratique et structurelle si variée qu'elle ait pu donner au cours de l'histoire, c'est bien le syndicalisme de classe qui peut être considéré comme la souche unique et légitime.
Sur cette souche qui a joué le rôle moteur très longtemps et pour le plus grand bien de la condition générale des salariés, on a vu peu à peu bourgeonner, certes, des rejets de toutes sortes.
Mais il n'en demeure pas moins que pendant plus d'un siècle, les principes de la lutte de classes ont influencé, voir dominé le fond de toute démarche syndicale quel qu'en fût la forme.
Cette analyse est naturellement applicable au plan international.
Le trade-unionisme des mouvements ouvriers anglo-saxons et germaniques, bien que divergeant du syndicalisme de classe n'a jamais pu pour autant échapper totalement à l'autorité morale du mouvement ouvrier mondial essentiellement présidé par la lutte de classes.
Et c'est bien là le nœud de la question posée actuellement à l'ensemble des salariés par un marasme syndical généralisé.
Aujourd'hui, la grande classe des salariés, toujours plus grugée, toujours plus spoliée, expropriée, dans le champ d'attraction de l'indigence sociale version an 2000, est poussée vers le vide idéologique absolu, dépourvue de toute défense sérieuse.
Abusée dans cette dangereuse posture par les malfaisances bureaucratiques, elle est mise à la merci de la classe dominante !
Est-il besoin en effet d'expliquer comment et pourquoi, de démontrer pour ainsi dire, que le syndicalisme de classe a été frappé de répudiation par l'ensemble des appareils syndicaux, et pour finir par ceux qui en avaient non seulement le droit mais aussi et surtout le devoir d'héritage !
Nommons ici la CGT dont les glorieux fondateurs du congrès de Limoges doivent se retourner dans leur tombe, au spectacle des guignols qui la dirigent aujourd'hui, à tous les niveaux, en total illettrisme idéologique.
Et la plus grande malhonnêteté de ces gens n'est pas encore cet abandon, aussi méprisable soit-il. Non, elle consiste plutôt à ne pas le dire franchement, à continuer au contraire d'usurper l'image historique ancienne tout en pratiquant une insidieuse et écœurante collaboration !
Mais quiconque réfléchit un tant soit peu aux méthodes et aux principes, du syndicalisme contemporain a tôt fait d'en démystifier l'essence :
-primo, les syndicats traditionnels ont rompu avec toute stratégie de masse appelant nécessairement la promotion unique des revendications de classe, seules de nature à forger la solidarité et l’unité ouvrière, et partant, seules de nature à créer les dynamiques interprofessionnelles, alimentant l'élargissement des luttes aux plus grandes dimensions possibles mais seules surtout à créer et entretenir un rapport de force latent, dissuasif pour les ambitions patronales.
Au contraire, ils se sont employés à fragmenter le mouvement revendicatif. C'est ainsi qu’à une époque où non seulement la nécessité mais la possibilité de la grève générale sont ressenties au plus profond de nos intérêts vitaux, on les observe, cloisonnant et réduisant la lutte économique à de pitoyables jacqueries au jour le jour, entretenant ainsi un syndicalisme sans âme, un chaos “organisé ” complètement à la remorque des impératifs capitalistes.
De cette manière, s’est peu à peu construit un schéma parasite possible qu’il convient de dénoncer comme une puissante parade à la grève générale : la grève "généralisée", véritable négation de l'unité ouvrière, situation de triomphe du corporatisme où la lutte de tous, complètement atomisée, sans cohérence sociale, ne peut, en particulier dans les conditions actuelles, profiter à personne, n'étant en fait qu’une soupape de sûreté au mécontentement général.
Il est clair par ailleurs que ce schéma, quand il n 'en est le jouet, peut parfaitement être le fruit de la manipulation politique (nous parlons ici de la manipulation du pouvoir). A ce propos, l'effet de diversion de la réforme de décentralisation de l’enseignement par rapport à l'attaque sur les retraites n 'aura échappé à aucun esprit averti, pas plus que l’aparté évidente du conflit des intermittents du spectacle etc. aux suivants !
Autant de luttes vouées à l’issue du pétard mouillé !
-secundo, les syndicats traditionnels sont complètement aliénés aux organismes économiques, institutionnels et patronaux (conseils de ceci, commissions de cela, jusqu'aux conseils d'administrations !) autant de moulins à parole capitalistes d'où ils ne sortent comme on le voit que pour leurs missions périodiques de sabotage en cas de débordement.
Foin, naturellement de leurs devoirs d'éducation ouvrière, d'animation de la réflexion et de l'initiative revendicative, conditions sine qua non de la solidité et de l'indépendance idéologique de la classe salariée et partant, du progrès de sa condition générale.
Partout dans toutes les corporations c'est le même schéma "ripou" qui dicte l’orientation du syndicalisme. Les mauvais coups patronaux ou gouvernementaux sont assortis au préalable d'une attention particulière en faveur des bureaucrates syndicaux le plus souvent avantagés ou préservés à l'avance sur les questions de carrière ou de salaire. Les connivences codifiées notamment à l’occasion de la casse du service public P.T.T sont édifiantes dans cet ordre d'idées.
De cette manière l'enjeu du syndicalisme traditionnel n'a plus rien à voir avec les intérêts de classe des salariés. Il n'est plus qu'un infect mélange de carriérisme ouvrier et d'intérêt patronal.
C'est ainsi que désormais, le sens du syndicalisme ne va plus des aspirations ouvrières à la lutte offensive, mais à l'inverse, des exigences patronales et des politiques gouvernementales à l'échec programmé de la lutte défensive !
Sans aucun rapport démocratique avec les intérêts ouvriers, ce syndicalisme consiste à naviguer entre la chèvre et le chou : d'un côté un minimum d'audience ouvrière pour justifier l'appellation et l'existence syndicale, de l'autre un minimum de considération des milieux patronaux et gouvernementaux pour garantir les conditions d'existence personnelle. On peut juger du résultat de cette macédoine !
D'ailleurs, il convient mieux dans ces conditions de parler de manipulation des vagues revendicatives, de jeu dégoûtant et malhonnête sur le mécontentement et la dégradation de la condition ouvrière.
Ainsi donc peut-on saisir le fondement véritable de cette espèce d'hypocrisie "démocratiste", se fondant dans les luttes en se défendant d'en assumer la direction, ni d'en impulser les mots d'ordre nécessaires : rien d'autre que la volonté pure et simple de les user, les torpiller, de les désamorcer au profit de calculs politiciens !
Combien n'a-t-on pas vu de luttes, autant sorties du néant que sitôt brisées dans leur élan et restées sans lendemain, sans parler de luttes purement folkloriques, telle que la dernière grève des routiers en 1997, visiblement orchestrée par les appareils véreux pour couvrir la duplicité et la cupidité des plus gros capitalistes du transport !
En définitive, le syndicalisme actuel ne déborde plus du terrain balisé par les maîtres du système en place et dont le credo intangible est la réussite ou plus exactement la survie obligatoire de l'économie de marché, le jeu forcé de la concurrence, de la compétition sans fin et sans issue, l'acceptation des ravages sociaux et humains qui en sont le prix, et au bout du compte : d'un côté l'enrichissement insolent d'une poignée de profiteurs et de l'autre la déchéance constante des masses exploitées.
Au surplus, au point ou en sont les choses, notamment en considération du phénomène général et massif de désyndicalisation il convient de s'interroger sur l'origine réelle des moyens et ressources des appareils actuels !
En tout état de cause, il est devenu absolument sûr que cette origine n'est plus strictement ouvrière et de loin !
Comment s'étonner dès lors de voir se multiplier tant d’accords scélérats, sur le temps et les conditions de travail, les formes de l'emploi développant l’aliénation, la dépendance et la précarité, et dernièrement la fameuse flexibilité qui n 'est autre qu'une soumission physique et morale des salariés aux exigences du profit, la baisse relative des salaires quand ce n’est pas leur réduction pure et simple sous les prétextes les plus fallacieux comme le soi-disant maintien de l’emploi.
Et l’on ne parle pas tant il y aurait à en dire de la "maniabilité" imposée désormais comme une espèce de fatalité, qui prend de plus en plus les salariés en tenaille entre l’A.N.P.E. et les trajets à rallonge ou la sarabande des délocalisations, le tout constituant peu à peu, tel un puzzle maléfique, la substitution d’une vie de serf des temps modernes à celle construite par plus d’un siècle d 'acquis sociaux vers le progrès !
Au total, n'est-il pas évident que ce qui préoccupe essentiellement ce sérail bureaucratique, c'est bien, disons, son "placement politique" dans le système et en aucune manière les intérêts et la condition générale de la Classe Salariée ?
A partir de tout ce qui précède, qui n 'enlève rien ni à l’urgence, ni aux nécessités revendicatives, on perçoit nettement que le centre de la réflexion ouvrière actuelle ne saurait se situer dans son cadre ordinaire, dès lors qu'il apparaît que ce cadre est embrouillé par la déchéance syndicale.
Il est incontournable désormais de se poser, en marge et avant toute réflexion revendicative, la question préalable de l’instrument de lutte, de l’outil syndical lui-même.
Il s’agît du point crucial de la reconstruction, à savoir : sa place et son intervention par rapport au mouvement réel.
Car si le processus de reconstruction par lui-même doit être continuel et indépendant de l’ambiance sociale, le recours au sigle servant à en affirmer l’existence et à faire école dans la perspective de l’unification, le terrain de la lutte ne saurait pour autant être déserté.
Mais il faut considérer la lutte revendicative comme un point d’appui pour la lutte idéologique au lieu de ce qu'elle est devenue aujourd'hui : un simple nutriment de survie pour l'imposture.
Dans ce cadre, la D.P.I.O s’assigne une tâche spécifique attachée à toute présence dans l'action revendicative concrète, et dont le "fil rouge" est la sape et la mise à l'écart des appareils périmés.
Il faut y promouvoir un certain nombre d'idées-force telles que :
- La dénonciation systématique de la faillite syndicale dont la cause évidente est l’abandon de l’héritage noble du mouvement ouvrier.
- La réactivation de cet héritage se situe désormais en dehors de l’espace matériel et moral des bureaucraties traditionnelles.
- L’héritage de cet espace, pour sa part, n’est plus qu’une dette monumentale.
- Les structures historiques du mouvement ouvrier ne sont pas tombées du ciel mais tout simplement apparues en tant qu'œuvre réfléchie des exploités eux-mêmes.
- Le simple bon sens dit qu’en ce domaine il n 'est aucune providence, aucun sauveur suprême.
- Il ne peut en être autrement de la reconstruction. Elle sera assurément l’effet de la conscience ouvrière active. Ceux qui en ont assez du marasme actuel ne doivent avoir aucune crainte de s’y engager.
L’organisation D.P.I.O assume avec tous ceux qui veulent y contribuer cette tâche pratique de la reconstruction syndicale, dans la préparation collective et l’appréciation des situations immédiates.
Sa présence dans les luttes se différencie donc de la simple signification revendicative.
L’état cadavérique des organisations traditionnelles est régulièrement démontré par l’insignifiance des actes au regard de la gravité des agressions qui s’accumulent contre le monde salarié.
Même le stade des scissions y est dépassé depuis longtemps. On ne pourrait y assister, tout au plus et sous couvert de duplicité rhétorique, qu’à des luttes de succession bureaucratique.
Le terrain de l’action peut donc être la circonstance propice pour faire prendre conscience que désormais la seule présence des sigles traditionnels et de leurs faillitaires n’est que poudre aux yeux, mystification et garantie de déconvenue.
La D.P.I.O agît pour la mise à l’écart de ces oripeaux en tant qu’ils constituent une nuisance foncière à la renaissance ouvrière, un obstacle majeur à l’indépendance de classe.
Ses membres influent autant que faire se peut, pour que tout mouvement où ils se trouvent impliqués où présents se donne sur place, tel une assemblée générale, sa propre représentation, ses propres responsables au niveau et à l’échelle appropriée, et excluant systématiquement du jeu les organisations et faillitaires sus- nommés.
A partir de là, la D.P.I.O incite à la création de permanences ouvrières durables et identifiables.
Au total, elle agît pour encourager, fixer et structurer durablement les énergies militantes repérables, dans une activité organique sous quelque forme que ce soit (ex : comités, cercles etc.), au-delà des phases de lutte proprement dites et dans l'indépendance des appareils de la trahison contemporaine.
En aucune manière et particulièrement dans les conditions actuelles, la D.P.I.O n 'impose son sigle. Elle ne fait que le proposer ou répondre à une demande éventuelle, l'essentiel étant d’œuvrer à toute création de permanence en rupture avec les organisations traditionnelles.
Il est à noter que cette méthode se démarque radicalement des fameuses coordinations qui s’avèrent par expériences des passades en trompe-l’œil quand elles ne sont pas des courroies de transmission de la diversion.
Ainsi la question n 'est pas de se soucier à priori du nombre et de l’influence immédiate de cette reconstruction mais plutôt de la juste direction qu 'elle doit exprimer.
Par ailleurs, pour faire pièce à la gabegie syndicale actuelle, les volontaires de la reconstruction ont un énorme avantage sur leurs "anciens" : ils ne partent pas du néant théorique et expérimental. Ils ont à leur disposition ce considérable héritage dont nous parlons, leur besoin étant seulement dans un premier temps de le réhabiliter.
Suite et fin dans article suivant....